Irlande : L’insurrection de 1916 et la lutte de classe durant la Guerre d’indépendance

Liberté, républicanisme de gauche et anarchisme

Liberté, républicanisme de gauche et anarchisme

En avril 1916 à Dublin, une combinaison de volontaires nationalistes et une milice syndicaliste (l’Irish Citizens Army, ICA, Armée des CitoyenNEs IrlandaisES) s’empara de bâtiments clés dans le centre de la ville et déclara une république. Après une semaine de féroces combats, durant lesquels une grande partie de la ville fut détruite, l’armée britannique écrasa les rebelles. Dans les semaines qui suivirent ils exécutèrent la direction de l’insurrection, y compris le membre des IWW James Connolly. [Original in English]

Cet article est une analyse anarchiste de l’insurrection de 1916 et de la Guerre d’Indépendance dans le contexte de la lutte pour le socialisme en Irlande et Internationalement. Il se concentre sur l’ « inconnue » mais intense lutte de classe qui parcourut la Guerre d’Indépendance et sur le rôle que le républicanisme joua dans la suppression de cette lutte. Il pose la question « Qu’est ce que la liberté ? » et montre comment l’anarchisme trouve son origine parmi les premiers républicainEs européenNEs de gauche comme une réponse aux limitations du républicanisme.

1916 – que sommes nous juste en train de célébrer ?
Il y a quelque chose de très étrange avec la commémoration officielle de 1916. Le même gouvernement qui est en train de célébrer une insurrection contre l’impérialisme il y a 90 ans autorise aujourd’hui -contre les vœux de la majorité du peuple irlandais – que les aéroports irlandais soient utilisés en soutien à une guerre impérialiste (la guerre d’Irak et/ou d’Afghanistan vraisemblablement NDT). Et tandis que la proclamation de 1916 se référait «au droit du peuple d’Irlande à la propriété de l’Irlande», les gouvernements successifs du Sud (le Sud désigne la république d’Irlande, la partie nord de l’île étant restée sous contrôle britannique NDT) ont eux-mêmes démontré qu’ils étaient du côté des grandes firmes internationales. Actuellement cela s’est manifesté dans la manière dont les champs gaziers de Corrib dans le Comté de Mayo (importants champs gaziers en mer découverts en 1996 NDT) ont été remis à la firme Shell.

Le programme de l’insurrection
La raison pour laquelle ils/elles peuvent s’en tirer avec hypocrisie, c’est que la proclamation de 1916 est pleine de rhétorique sur les « générations disparues » et l’ « auguste destinée » mais bien courte en ce qui concerne quelque sorte de programme concret que ce soit, et ne songez même pas à un programme qui s’adresserait aux besoins de la classe ouvrière. La proclamation de 1916 dit très peu sur la sorte d’Irlande que les rebelles voulaient voir. Cela a permis à chaque parti du Sud de se revendiquer de sa tradition durant les 90 années qui suivirent sa première lecture. Le soulèvement fut héroïque et il façonna le visage de l’Irlande moderne, mais y a t’il quelque chose de plus à célébrer que le soulèvement pour une personne de gauche ? Ce coup contre l’impérialisme après tout est quelque peu sapé par la description de l’impérialisme allemand dans le second paragraphe de la proclamation présenté comme des « alliés galants en Europe » (l’Allemagne, alors engagée dans la première Guerre Mondiale, avait donné des fonds et tenté de fournir des armes aux républicainEs irlandaisES en vue de l’insurrection contre la domination britannique NDT). Et la promesse que « La République garantit… des droits égaux et des opportunités égales à tous/tes ses citoyenNEs » ne représente aucune menace pour le capitalisme européen d’aujourd’hui qui lui aussi prétend soutenir de telles choses.

Malgré le fait que l’Irlande de cette époque ait été profondément divisée, au point de voir la formation de 2 milices armées rivales (d’un côté les milices républicaines irlandaises et de l’autre la milice des Ulster Volunteers, rassemblant des loyalistes favorables à la domination britannique NDT), la proclamation simplement «revendique l’allégeance de chaque homme et femme irlandaisE» en dépit des « différences »… « qui ont divisé une minorité de la majorité ». Les divisions sectaires amères qui existaient déjà dans la classe ouvrière de Belfast (au nord de l’île où les protestantEs étaient majoritaires NDT) n’allaient probablement pas être surmontées d’une telle manière !

La gauche et 1916
Connolly (James Connolly, ancien membre des IWW aux USA, agitateur syndicaliste et socialiste révolutionnaire, républicain, un des fondateurs de l’ICA, figure historique de la gauche irlandaise, fusillé en 1916 NDT) est cité déclarant lors d’un rassemblement de l’Armée des CitoyenNEs IrlandaisEs, une semaine avant le soulèvement, « … si nous devons gagner, gardez vos fusils car les Volontaires peuvent avoir un objectif différent. Souvenez vous que nous ne marchons pas seulement pour la liberté politique mais tout autant pour la liberté économique », donc certainement que la gauche à cette époque était consciente de l’égalité manquante dans la proclamation. Comme d’habitude dans la recherche d’un compromis entre socialisme et républicanisme, l’élément socialiste doit être mis de côté.

Malgré cela, des sections de la gauche de Dublin apportèrent une réelle contribution au soulèvement. Il n’y avait pas que James Connolly comme socialiste et autour de 20% des combattantEs de l’Armée des CitoyenNEs IrlandaisEs, qui puisaient ses origines dans une organisation syndicaliste révolutionnaire, l’ITGWU (Irish Transport and General Workers Union). D’autres participantEs à l’insurrection rapportent que pour au moins certainEs d’entre eux/elles «cette révolution militaire devait être suivie par la révolution industrielle »1. Mais cette gauche fut détruite par le soulèvement et bien que l’ICA ait pu renaître nominalement, en réalité, comme Franck Robbins, emprisonné durant 2 ans après 1916, le disait « la majorité des nouveaux/elles membres, aussi étrange que cela puisse paraître, ne soutenaient pas ou ne prônaient pas les vues sociales et politiques qui avaient motivées celles et ceux qui avaient combattu en 1916 »2.

L’État qui émergea était hostile aux intérêts des travailleurs/euses irlandaisES et même durant la guerre d’indépendance l’IRA (Irish Republican Army, Armée Républicaine Irlandaise NDT) agit contre les luttes de ces travailleurs/euses encore et encore. Comme Ernie O’Malley (officier commandant la seconde division du Sud de l’IRA) le résumait « Il y avait des troubles agraires dans le Sud et l’Ouest. Le Dail (le parlement républicain clandestin NDT), effrayé par l’appétit de terres qui se répandait, utilisa l’IRA pour protéger les propriétaires terriens, l’IRA qui avait de la sympathie pour celles et ceux qui voulaient démembrer les domaines exécuta les ordres du ministère de la Défense »3.

La lutte de classe durant la Guerre d’Indépendance

Les évènements de 1916 sont très bien connus – mais ce dont la plupart des gens, même ceux de gauche, ne sont pas conscient c’est qu’une intense lutte de classe se déroula dans les années 1918-1923. Il y eut 5 grèves générales dans le Sud et l’Ouest de l’Irlande entre août 1918 et août 1923 et 18 grèves générales locales, 12 d’entre elles en 1919. Au cours de celles-ci les travailleurs/euses prirent en main la gestion de villes et de cités à travers l’Irlande, le cas le plus célèbre fut le soviet de Limerick, mais cela se produisit même dans la petite ville de Dungarvan. Dans cette ville durant un mois en 1918 :

« Rien ne pouvait être acheté ou vendu sans un permis du syndicat. Rien ne pouvait entrer dans la ville sans la permission du syndicat. Les personnes qui essayaient de forcer le blocage avaient leurs charrettes retournées et leurs biens détruits. Le Comité de Grève mit en place son propre système de rationnement et de distribution »4.

Les travailleurs/euses agricoles sans terres au travers de toute l’Irlande prenaient part à des occupations de terres et à des prises de bétail. Les ouvrierEs occupaient leurs lieux de travail et cherchaient à poursuivre la production.

Des batailles rangées eurent lieu entre les travailleurs/euses et la police (loyaliste), la police républicaine et même aussi des genres de « gardes blanches » créés par les employeurs/euses. À propos de la grève générale d’avril 1920 le Manchester Guardian notait « la direction des affaires passa durant la grève à ces conseils [ouvriers], qui n’étaient pas formés sur une base locale mais sur une base de classe. Dans la plupart des endroits la police abdiqua et le maintien de l’ordre fut pris en charge par les conseils ouvriers locaux. En fait il n’y a pas d’exagération à trouver une saveur de dictature du prolétariat à certains aspects de la grève ».

Comme historien Emmet O’Connor note « Malgré la valeur prouvée de la grève, le Dail Eireann ne chercha jamais à l’invoquer ou ne tenta de manipuler des grèves politiques une fois qu’elles avaient commencé. Employer une arme des conflits sociaux aurait pu aller à l’encontre de la stratégie intégrationniste du Sinn Fein »5 (Le Sinn Fein était un parti républicain nationaliste NDT).

C’était une époque de lutte syndicaliste militante dans la classe ouvrière européenne. En Irlande certainEs de ces travailleurs/euses ont pu être membres de l’IRA mais les méthodes de lutte qu’ils/elles utilisaient n’étaient pas celles du républicanisme irlandais mais celles des anarchistes italienNEs, des syndicalistes révolutionnaires françaisEs, des syndicalistes britanniques et même des travailleurs des chantiers navals de Belfast. L’unique contribution de la Guerre d’Indépendance, liée en particulier au ciblage par l’IRA des forces « de la loi et de l’ordre », fut la création d’un vide dans lequel ces luttes de travailleurs/euses pouvaient progresser plus loin que cela n’aurait été possible autrement (l’IRA mena des centaines d’attaques contre des postes de police, entraînant leur regroupement et leur retranchement, ce qui laissa de vastes zones sans présence policière NDT).

Le prix du succès
Ce manqué de « loi et d’ordre » signifiait que pour la classe capitaliste britannique et irlandaise le Sinn Fein commença à être vu comme un moyen de retourner au business habituel. Les forces de la Couronne ne pouvaient plus garantir la loi et l’ordre nécessaire au bon déroulement des affaires, peut être que l’IRA pouvait jouer ce rôle. Le Sinn Fein commença à prouver qu’on pouvait lui faire confiance pour gérer le capitalisme dans le Sud de l’Irlande le 17 mai 1920 à Ballinrobe, dans le comté de Mayo. Ce jour là la première Cour d’Arbitrage Public fut tenue par le Sinn Fein (il s’agit de tribunaux républicains se tenant dans des « zones libérées » par l’action de l’IRA NDT). Elle se prononça contre des petits paysans qui avaient occupé une ferme de 100 acres. Cependant les petits paysans défièrent la décision de la Cour et poursuivirent leur occupation, et suivant les mots d’une brochure du Dail « le capitaine de la compagnie locale de l’IRA fit une descente contre eux avec une section de ces hommes – eux-mêmes fils de fermierEs très pauvres – arrêta quatre d’entre eux et les emmena dans une très efficace prison républicaine – une destination inconnue »6.

Peadar O’Donnell qui fut officier commandant de la 2ème brigade de l’IRA (Derry et Donegal Est), écrivant en 1963, observait : « Souvent un homme de l’IRA, en prison ensuite en 1922 et 23, blasphémait son action de défenseur d’un pur idéal en patrouillant le long des murs des grands domaines, arrachant des impayés de loyers, arrêtant et même expulsant du pays des meneurs d’agitations agraires locales »7. en d’autres termes l’IRA pouvait protéger le/la riche d’une manière dont la RIC n’était plus capable (RIC, Royal Irish Constabulary, police loyaliste NDT).

C’était le républicanisme irlandais à sa période la plus militante, c’était simultanément une période durant laquelle les travailleurs/euses irlandaisES étaient aussi les plus militantEs. Déjà les actions directes de ces travailleurs/euses étaient vues comme un obstacle à la lutte républicaine – quelque chose qui menaçait l’unité. Briser ces luttes de travailleurs/euses fut la manière utilisée par le Dail pour gagner l’allégeance d’une large partie du capitalisme irlandais. Il démontrait qu’à la différence de l’État britannique il pouvait maintenir la loi et l’ordre et protéger la propriété et la terre des nantiEs de la classe ouvrière.

Il est intéressant de noter que ces récits d’officiers hauts gradés mettent chacun l’accent sur le fait que les hommes du rang de l’IRA, impliqués dans la suppression des occupations de terres, étaient eux-mêmes des travailleurs agricoles pauvres ou qu’ils étaient mécontents du rôle qu’on leur ordonnait de jouer. Ernie O’Malley observait de plus que « le/la travailleur/euse agricole pouvait comprendre le /la travailleur/euse de la ville, et était organisé dans des organisations syndicales avec lui/elle. Le mouvement dans son ensemble était hostile aux revendications ouvrières même si le mouvement ouvrier avait aidé à prévenir la conscription, n’avait pas contesté la dernière élection et refusait maintenant de transporter des troupes armées »8.
Les limites du républicanisme de gauche

Ainsi tandis que le républicanisme de gauche pouvait ressembler à un attirant raccourci vers le socialisme, mais construit sur du sable. La faiblesse du républicanisme ne réside pas dans ses échecs mais dans ses succès parce que le succès requiert la construction de l’unité nationale, qu’elle soit militaire durant la Guerre d’Indépendance ou politique durant le processus de paix. Le prix d’une telle unité est constant – la marginalisation et l’effacement de toute perspective de révolution sociale de l’agenda.

L’anarchisme provenait d’une compréhension des limites du républicanisme socialiste. À cause de cela, il ne rejeta pas les concepts fondamentaux de la république, il construisit dessus. Qu’est ce que nous voulons dire par là ?

Qu’est ce que la liberté ?
Tout le monde, de George Bush à Michael McDowell, dit être pour la liberté mais qu’est ce que la liberté ? Nous avons déjà vu comment la proclamation de 1916 parlait seulement de « droits égaux et d’opportunités égales » mais laissait de côté toute mention à l’égalité économique même si au moins l’un des signataires, James Connolly, savait que c’était une des conditions pour toute liberté réelle.

Liberté, égalité, Fraternité fut le slogan qui encapsula la révolution française et captura le débat qui allait suivre, un débat duquel l’anarchisme finalement émergea. Les mots sonnent bien mais qu’est ce qu’ils signifient ? Est-ce que l’égalité signifie seulement l’égalité devant la loi, quelque chose qui existe maintenant en théorie dans le monde occidental. Ou est ce que cela signifie un égal accès à tout ce qui est produit. Dans ce débat se trouve le golfe entre le Parti républicain de Bush et le communisme anarchiste.

Dans le contexte de l’Irlande, le républicanisme débuta réellement juste avant la rébellion de 1798. Les rébellions avant cette date étaient à propos d’un retour à des gouvernants plus traditionnels ou bien est ce que nous allons dirigéEs par un roi d’Angleterre protestant ou par un roi d’Angleterre catholique. Quoi qu’en dise les mythologies bâties par le loyalisme d’un côté ou par le nationalisme irlandais de l’autre, la liberté, pour la masse du peuple, ne fut jamais vraiment à l’ordre du jour.

La rébellion de 1798 avait cependant pour but d’apporter une forme de société nouvelle et démocratique. Quelques unes des nombreuses factions rebelles portait un agenda de « nivellement » qui parlait, dans le langage de l’époque, de liberté économique. Le Catéchisme de l’Homme Pauvre (Poor Man’s Catechism), publié anonymement dans les années 1790 contenait :
« Je crois en une révolution fondée sur les droits de l’homme, sur le droit naturel et imprescriptible de tous/tes les citoyenNEs de la terre… Comme la terre et ses produits furent destinée à l’usage de l’homme et de la femme, il est injuste que 50 ou 100 hommes ou femmes possèdent ce qui est pour la subsistance de près de 5 millions… ».

L’unité nationale contre « l’homme et la femme sans propriété »
Dans le Sud aujourd’hui nous vivons dans une « république » mais c’en est une où pas beaucoup plus de 50 ou 100 hommes et femmes possèdent ce qui « est pour la subsistance de près de 5 millions ». Dans notre république 10 familles possédaient presque toutes les terres appropriées pour la construction de logements autour de Dublin et à cause de cela, dans la dernière décennie, elles sont devenues multimillionnaires.

Dès ses origines le républicanisme autour du globe représentait une alliance qui incluait celles et ceux qui voulaient aller beaucoup plus loin que la liberté politique et qui reconnaissaient que l’égalité aussi requérait des changements fondamentaux dans les lois sur la propriétés etc. Les hommes et femmes sans propriété ne sont pas juste des figures clés de 1798, ils/elles apparaissent dans chaque insurrection républicaine autour du globe.

L’histoire de l’anarchisme débute avec les révoltes républicaines qui éclatent dans toute l’Europe en 1848. Ces révoltes virent l’émergence de mouvements de la classe ouvrière très distincts qui cherchaient à introduire le socialisme comme partie du combat pour la république – le développement de ce que aujourd’hui dans le contexte irlandais nous pourrions appeler le républicanisme socialiste.

Les origines de l’anarchisme dans le républicanisme de gauche
Un républicain actif durant ces années là était le républicain de gauche Michel Bakounine qui devint plus tard un anarchiste. À cette époque le peuple slave était sous le joug de pas de quatre empires, celui du tsar de Russie, l’Autro-Hongrois, l’ottoman (de nos jours la Turquie) et le prussien.

Les révoltes républicaines de 1848 virent Bakounine participer au congrès slave à Prague et publier un « Appel aux slaves ». Cet appel a beaucoup de choses en commun avec des déclarations républicaines socialistes ultérieures, par exemple l’appel à l’unité révolutionnaire slave contre les occupations allemandes, turques et hongroises « tandis que nous serrons nos mains fraternelles avec le peuple allemand, avec l’Allemagne démocratique ». Comme Connolly allait le faire plus tard il cherchait à présenter le socialisme comme une partie inévitable de la conquête de la république. Bakounine à cette époque, comme Connolly avant 1916, espérait que les meilleurEs républicainEs deviendraient socialistes dès qu’ils/elles réaliseraient cela – Bakounine allant jusqu’à proclamer que « Tout le monde a réalisé que la liberté est un simple mensonge là où la grande majorité de la population est réduite à une existence misérable, là où privée d’éducation, de liberté et de pain, il est fatal qu’elle serve d’étai pour les puissantEs et les riches ». L’Appel aux Slaves termine ainsi : « La question sociale apparaît ainsi comme étant la question première et principale du renversement complet de la société »9.

Bakounine commença à rejeter le républicanisme de gauche après l’insurrection polonaise de 1863 lorsqu’il vit que les nationalistes polonais étaient plus intéresséEs par la terre ukrainienne que par le soutien aux slaves ukrainiens et qu’ils/elles étaient plus effayéEs par les insurgés paysans polonais que par le tsar. En d’autres termes, s’ils :elles ne pouvaient garder la classe ouvrière sous contrôle les capitalistes polonaisEs étaient disposéEs à sacrifier la république.

Les anarchistes rompent avec le républicanisme de gauche
Bakounine alla en Italie où il travailla sur un projet international d’organisation révolutionnaire avec des exiles républicainEs de nombreux pays. Ils/elles recherchaient une manière de développer les structures organisationnelles républicaines et un ensemble de principes qui verrait l’abolition de la société de classe plutôt que le simple remplacement d’un patron étranger par un patron autochtone.

Le genre de société qu’ils/elles prônaient était une avancée radicale dans l’Europe des années 1860 et demeure à la fois pertinent et radical aujourd’hui. Ils/elles argumentaient que : « l’avènement de la liberté est incompatible avec l’existence des États », « la société humaine libre peut enfin advenir, non plus en étant organisée… de haut en bas… mais bien plutôt en commençant depuis les individus libres, l’association libre et les communes autonomes, de bas en haut », « le travail étant le seul producteur des biens sociaux, quiconque en profite sans travailler est unE exploiteur/euse du travail d’unE autre homme ou femme, unE voleur/euse, et le travail étant un sous-entendu essentiel de la dignité humaine, les seuls voies par lesquels un homme ou une femme conquiert et crée effectivement sa liberté, tous les droits politiques et sociaux doivent désormais être étendus aux seulEs travailleurs/euses ».

Ainsi l’anarchisme émergea sous une forme organisée comme résultat d’un groupe de révolutionnaires républicainEs de gauche espérimentéEs tirant la conclusion que l’accomplissement de la liberté réelle signifiait rompre avec les alliances nationalistes de classes et chercher au contraire la rébellion de la classe ouvrière internationale. Mais ils/elles emmenaient certaines de leurs traditions républicaines avec eux/elles, la moindre n’étant pas l’accent mis sur la liberté individuelle. Peut être que la meilleure phrase résumant l’anarchisme exprime cela, tirée de nouveau de Bakounine : « La liberté sans le socialisme, c’est l’inégalité et l’injustice ». Mais cela n’est pas une simple critique du républicanisme, cela fait partie d’un couplet, dont l’autre moitié est une critique républicaine de la tendance des socialistes à voir la liberté individuelle comme quelque chose de non pertinent : « Le socialisme sans la liberté, c’est la brutalité et l’esclavage ».

Les leçons de 1916
Si le but de l’insurrection de 1916 était la liberté pour le people d’Irlande alors elle a échoué, et pas juste à cause du traité et de la partition (la Guerre d’Indépendance prit fin en 1921 par un traité avec l’Angleterre, traité qui créa au Sud de l’île un État irlandais libre tandis que le Nord de l’île, à majorité loyaliste restait sous le giron britannique. Ce traité entraîna de facto la partition politique de l’Irlande et entraîna en 1922- 1923 une guerre civile au Sud entre partisanEs et opposantEs au traité NDT). Parce que la gauche sacrifia toute référence à l’égalité économique l’État qui émergea au Sud pouvait se baser, et se basa, sur la proclamation. Écrivant ironiquement quelques 17 années avant 1916, James Connolly lui-même avait souligné ce que cela signifierait : « Après que l’Irlande soit libre, dis le patriote qui ne touche pas au socialisme, nous protègerons toutes les classes, et si vous ne payez pas votre loyer vous serez expluséEs tout comme maintenant. Mais l’unité qui vous expulsera, sous l’autorité du shérif, portera l’uniforme vert et la harpe sans la couronne (symbole de l’Irlande républicaine NDT) et l’avis qui vous jettera à la rue sera tamponné aux armes de la République Irlandaise. Maintenant est ce que cela ne vaut pas la peine de se battre pour ça ? ».

En 1916, au milieu du carnage impérialiste de la première Guerre Mondiale, Connolly décida que ce programme limité valait la peine qu’on se batte pour lui. 90 ans après nous pouvons admirer celles et ceux qui s’impliquèrent dans l’insurrection mais en même temps l’insurrection est une démonstration que même les plus à gauche des républicainEs, comme Connolly l’était alors, se trouvent eux/elles-mêmes contraintEs de balancer les éléments de leur programme concernant la classe ouvrière en faveur des intérêts de l’unité nationaliste. L’anarchisme prétendait, en 1866, que le républicanisme de gauche était une impasse dans la lutte pour la liberté, le sacrifice de Connolly en 1916 servit seulement à le confirmer.

Andrew Flood – 12 Avril 2006

NOTES :
1 The Easter Rebellion, Max Caulfield, Gill and Macmillan, 1995, p 97 2 Conor Kostick, Revolution in Ireland: Popular militancy 1917 to 1923, Pluto Press, 1996, p175 3 On another Man’s Wound, Ernie O’Malley, Colour Books Limited, 1936, p161, 4 Syndicalism in Ireland 1917 – 1923 Emmet O’ Connor, Cork University press, 1988, p 30 5 Syndicalism in Ireland, p 88 6 Revolution in Ireland, p104 7 Revolution in Ireland, p106 8 On another Man’s Wound, p138 9 Appeal to the Slavs (1848), in Bakunin on Anarchism, Sam Dolgoff, Black Rose Books, 1972, p 63-68
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 Texte en anglais trouvé sur le site anar Anarkismo.net (http://www.anarkismo.net), sous le titre «The 1916 insurrection in Ireland and class struggle in the War of Independence : Freedom, left republicanism and anarchism ».

La traduction a été réalisée, en février 2012, par une personne du Collectif Anarchiste de Traduction et de Scannerisation (CATS) de Caen (et d’ailleurs). La traduction a été féminisée.

Original article in English